- Spoiler:
Bon, un post un petit peu particulier. Suite au désir de Rondeau de mettre son RP entre parenthèses, il m'a autorisé à disposer de son personnage. Tâche dont je m'acquitte ici au mieux.
- What do you mean, no compensation ?Balthazar venait de s'exclamer en anglais, et ne fit pas attention au regard que lui lança la serveuse. Alors que la péniche venait d'accoster à peu près à son point de départ, la jeune femme leur avait signalé qu'ils étaient amarrés. Et lorsque la goule s'était enquise, avec force bégaiements et détours grammaticaux, s'ils allaient se faire rembourser le billet, elle lui avait signalé sans aucune sympathie qu'il pouvait aller se faire voir. On comprendra alors aisément la réaction de Balthazar.
Le voyage s'était déroulé dans le silence le plus total. Les deux amis étaient restés moribonds, et pas un mot n'avait été prononcé, à part que Rondeau lui avait signalé sa surprise quant à la nature robotique de Bleu. Pour le reste, la simple présence de Rouge et Blanc, ainsi que de Michel, les avait dissuadés d'ouvrir la bouche plus que de raison.
Et maintenant, ils apprenaient qu'ils ne seraient pas remboursés. Alors que Rondeau abreuvait la serveuse bien innocente d'injures, le canon d'Émile fit son entrée remarquable dans le coin du champ de vision de Balthazar. Il tira sur la manche du jeune Québécois et désigna le garde du menton. Et c'est ainsi que, non sans un doigt d'honneur à l'intention du reste de la péniche, ils débarquèrent sur les quais de la Seine, à quelques mètres à peine de l'endroit où ils avaient embarqué.
Là encore, ils s'abstinrent de paroles. Ils étaient l'un comme l'autre absolument crevés, après une journée remplie plus que de raisons. Et ils étaient de retour à Paris, sur les rotules. Dans le ciel d'un bleu malade, le soleil descendait doucement, dardant de ses rayons la capitale poussiéreuse.
D'un pas lourd, ils suivirent la Seine sur une cinquantaine de mètres. Pour être tout à fait honnête, la goule n'avait pas la moindre idée de l'endroit où ils étaient, mais peu lui importait. Ils allaient se trouver un endroit où dormir pour la nuit, et puis ensuite ils aviseraient. Lui passa quand même par l'esprit de recharger ses armes. Il avait évité de le faire dans la péniche, afin d'éviter un autre accident diplomatique majeur.
Alors qu'ils marchaient, il scruta le profil du Québécois. Interdit, la mâchoire serrée sous le chaume de sa barbe naissante, ses paupières réduisaient son regard à sa portion congrue, les deux yeux injectés de sang braqués droit devant lui. Il repensa à Michel ; Rondeau était-il beau ?
Sans nul doute l'aurait-il été, avant la guerre. Mais désormais, il était comme tout le monde : crasseux, et surtout imbibé de sang. Il puait, comme Balthazar, comme Michel, comme chacun des enfoirés de la péniche, comme chaque putain de connard de cette planète morte.
Il y avait quelque chose de pourri dans l'air, Balthazar pouvait le sentir, même si son nez avait rendu l'âme des années plus tôt, se détachant comme un appendice ridicule, lui pendant au visage pendant quelques jours.
L'ancien cadre ressentit le besoin de dire quelque chose. Au moins de briser ce silence qui lui pesait sur l'échine, comme le talon d'un géant qui s'amuserait de voir ces créatures insignifiantes peiner sous leur charge.
- Kiddo'... commença-t-il. Il s'interrompit bien vite toutefois, quelque chose n'allait pas. Le regard que lui jeta Rondeau le lui confirma, et ce ne fut qu'un murmure qui s'échappa des lèvres de la goule.
- I heard it too...
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Le son avait été infime. À peine remarquable dans l'air lourd de la fin de l'après-midi. Toutefois, aux oreilles du duo, il avait été plus clair que le plus pur des sons de cloche, tintement lugubre dans l'atmosphère parisienne. Les deux comparses interrompirent leur pas et, d'un même mouvement, pivotèrent sur eux-même.
Là, devant eux, à une dizaine de mètres, se dressaient Blanc et Rouge. De Bleu, nulle trace. Balthazar ne le saura jamais, mais il avait été définitivement mis hors d'usage par le tir de plasma en plein torse. Ou peut-être était-ce l'œuvre du poulpe géant.
Cette fois, il n'était plus question de négocier. Ils se tenaient tous les quatre debout au plein milieu de la rue, et nul n'atteindrait un quelconque abri avant que la fusillade, maintenant imminente, n'éclate. Un rapide coup d'œil confirma au cow-ghoul que le beretta de Rondeau était bien à sa ceinture.
Aussi, sous le soleil de plomb, il frotta son pied sur le béton poussiéreux, assurant ses appuis en vue du défourraillage à venir. Sa main alla se balader près de son revolver tandis qu'il inspirait et expirait profondément. Si l'adolescent dit quelque chose à côté de lui, il n'en entendit rien : le sang qui battait à ses oreilles l'assourdissait plus sûrement qu'aucun autre son. L'atmosphère se fit un degré plus pesant, et comme dans une infâme parodie d'un western, une mouche démesurée vint leur tourner autour. Elle devait faire dans les vingt centimètres, mais s'en alla prestement lorsqu'un radpoisson creva la surface de la Seine et, s'aidant de deux bras courtauds, entreprit de se traîner en travers du champ de tir.
Au loin, un kzerta blessé hurla, sa plainte résonnant dans l'air parisien. Pendant une poignée de secondes, l'univers sembla suspendu à ses lèvres, et alors que la bête expira enfin, la machine de mort se mit en place.
D'un commun accord, les quatre duellistes dégainèrent d'un même mouvement. La kalashnikov apparut comme par magie dans les mains de Rondeau, et se mit à cracher le plomb en pétaradant, tressautant comme un animal mourant ; Blanc leva son fusil d'assaut, et la mort s'élança, véloce comme une balle de 5.56. Rouge dégaina en même temps que Balthazar, pour l'un son revolver familier, et pour le mercenaire masqué un pistolet mitrailleur que la goule n'identifia pas.
Et les projectiles volaient, voraces, cherchant la chair. Beaucoup ne trouvèrent que du sable, mais l'un d'entre eux frôla le flanc de la goule. En quelques secondes, l'air se trouva surchargé de l'odeur piquante de la poudre comme du son mourant des détonations. Les chargeurs étaient vides, et personne ne faisait mine d'être touché.
Oh, il avait bien vu une ou deux balles toucher les deux cyborgs, mais elles avaient ricoché sans le moindre mal ; l'une d'elle avait même défoncé le masque à gaz de Blanc, qui s'en débarrassa d'un geste rageur, terriblement humain pour un tas de ferraille. Sous l'accessoire, comme Bleu, un visage métallique et inexpressif.
La goule tenait à bout de bras le revolver vide, bout de ferraille inoffensif qui quelques secondes plus tôt se prétendait héraut de mort, porteur de la plus sûre des maladies : celle du plomb.
À sa bandoulière, moqueuse, une seule balle trônait comme une reine. Le poids réconfortant du LR6 à son flanc droit lui assurait d'avoir toujours un atout en cas de nouvelle fusillade.
Blanc et Rouge marchèrent dans leur direction, leurs armes vides pointées sur le duo international. Balthazar fit de même, mais Rondeau resta sur place. Lorsqu'il se retourna, son ami s'aperçut qu'il avait les dents serrées, le teint cireux. Sa main gauche étaient plaquée sur son abdomen, et entre les doigts incrustés de sable, un sang vermeil se glissait paresseusement. Le jeune homme mit un genou à terre, puis un autre, restant là, affalé. La goule vit la giclée de sang derrière lui, et compris qu'après tout, une balle l'avait bel et bien atteint.
Balthazar se précipita vers lui.
- You gonna be alright kiddo, it's just a scratch... Hold on... I'll get us out of here !Il fit mine de lui passer un bras sous les aisselles pour le relever, mais le jeune homme lui fit non de la tête. Il lui parla, ça oui. Il vit clairement les lèvres de celui qui n'était plus un adolescent, mais jamais un homme aux yeux de la vieille goule s'ouvrir, articuler des mots, se refermer.
Mais Balthazar n'entendait plus rien. Seul les pas de Blanc et Rouge comptaient désormais. Sûr d'eux, ils alignaient mètre après mètre, et s'ils avaient eu un visage humain, c'eût certainement été un rictus moqueur qui se serait peint dessus. Ils s'arrêtèrent à à peine quelques mètres, et la goule entendit clairement le bruit d'une arme à feu que l'on rechargeait.
Alors, c'était ainsi.
C'était ainsi que cela se finissait. Et bien, s'il devait mourir, que ce soit avec Rondeau dans les bras, mais jamais avec une arme pleine, ça non.
Il s'astreint au calme. Curieusement, ce ne fut pas dur. Ce fut même plus facile que ça ne l'avait jamais été ces dernières années. L'imminence de la mort avait au moins ça, qu'elle rendait vos pensées plus claires qu'elles ne pouvaient l'être. Ses doigts se refermèrent sur le beretta de Rondeau, qui n'avait pas bougé de sa ceinture. Sa seconde main, il la posa sur la crosse du LR6, savourant le contact familier du bois dans sa paume.
À trois.
Rouge fit un pas en avant.
Un.
Rouge leva son pistolet mitrailleur à hauteur d'épaule.
Deux.
Rouge aligna la silhouette prostrée de Balthazar sur Rondeau dans la mire, et posa un doigt presque aimant sur la gâchette.
Trois.
La goule bondit sur ses pieds et se retourna, tirant avec le pistolet dérobé au jeune homme. La salve de balles atteignit Rouge au torse, le déséquilibrant, et la rafale de pistolet mitrailleur alla se perdre dans le béton. Toujours aussi inexpressif, Blanc se hâtait de recharger son fusil mitrailleur, mais le chargeur lui échappa des doigts dans sa précipitation.
Peut-être que ces androïdes n'étaient pas parfaits, après tout.
Rondeau grogna, mais Balthazar n'y prêta guère attention : il vidait le flingue en direction de Rouge, le faisant danser à chaque fois qu'une balle atteignait sa cible. Mais ce qui devait arriver arriva, et le percuteur retomba dans le vide.
La goule laissa tomber l'arme et passa le LR6 dans sa main droite, mais là l'impensable arriva.
Rondeau s'était remis sur ses pieds, malgré la balle qu'il avait prise dans l'abdomen. Et, poussant un cri bestial qui les ramena tous les quatre aux origines du monde, il chargea Rouge, armé de son seul désespoir et de l'issue certaine d'un combat insensé. Et malgré toute sa nature robotique, le mercenaire ne put rien faire d'autre que d'encaisser la charge dans le ventre. Le jeune homme se mit à le fracasser à main nue, ployant la tôle aussi sûrement que s'il s'agissait de carton.
La force des dernières minutes, diront certains.
La lutte les mena au bord de la Seine, près du parapet. Et à peine fut passé la première surprise que Balthazar et Blanc se mirent à tirer de plus belle vers le duo engoncé dans ce corps à corps sanglant. Si Rouge rendait coup pour coup, Rondeau ne semblait pas sentir la douleur, et malgré le fait qu'il soit couvert d'ecchymoses, et qu'il ait pris une balle, il continuait à frapper, frapper, encore et toujours. Le robot avait depuis longtemps lâché son pistolet mitrailleur, et faisait de son mieux pour se défendre.
Sombre tableau que celui-ci, avec Blanc et Balthazar qui vidaient leurs armes vers les deux combattants. Deux tirs de plasma vitrifièrent le sol à leurs pieds, mais ils ne semblaient s'en soucier, pris qu'ils étaient dans leur combat bestial. Et l'avantage de l'homme sur la machine prévalut : tout parfait qu'il était, Rouge manquait sérieusement de testostérone et d'adrénaline, deux substances qui saturaient le sang du Québécois.
Mais alors que le jeune homme saisissait le robot et continuait de le démantibuler, une balle de Blanc le toucha de nouveau, en pleine poitrine cette fois. Une fleur écarlate s'épanouit au coin de ses lèvres, et la bouche de Balthazar s'ouvrit d'un coup.
Rondeau se tourna vers lui, et lui lança comme un sourire. Ou peut-être l'ancien cadre l'imagina-t-il. Il saisit ce qu'il allait faire lorsque leurs regards se croisèrent, et il n'eut pas le temps de crier. Une seconde plus tard, le jeune homme empoignait de nouveau Rouge et, ignorant les coups qui pleuvaient sur lui, l'entraîna avec lui par dessus le parapet. Les deux corps tombèrent dans la Seine, et le courant les emporta loin de la capitale.
Balthazar resta sans voix, le LR6 à la main comme un jouet inutile. Deux minutes plus tôt, il marchait avec Rondeau, et voilà que le jeune homme était... Mort ?
Blanc se tourna vers lui, pointa le fusil d'assaut en direction de son crâne. Qu'il tire, après tout, la goule n'en avait cure. Il venait de perdre l'une des rares personnes qu'il considérait comme un ami en ce bas monde.
Le cliquetis lui indiqua que le fusil du robot était vide. Il se tourna vers lui, un air infiniment las sur le visage. Il lâcha le LR6 qui tomba dans la poussière, et tira la batte de base-ball de son fils qui pendait à son paquetage. Pendant un instant, il crut voir une expression de peur courir sur le métal immobile du visage de Blanc. Mais c'était ridicule.
Le premier coup de batte saisit l'androïde au poignet, et il lâcha le fusil sous le coup. Le second, porté au genou, brisa son articulation selon un angle improbable.
Balthazar aurait aimé qu'il crie, qu'il supplie. Il aurait aimé le voir souffrir. Mais les androïdes ignoraient la douleur, et Blanc ne dit pas un mot alors que la goule lui faisait son affaire. Il ne dit rien lorsque ses câbles furent arrachés, rien lorsque Balthazar réduisit à l'état d'ampoules crevées les diodes qui marquaient ses yeux. En fait, l'aurait-il voulu qu'il n'en aurait pas été capable.
Et lorsque la goule s'arrêta enfin, face à la carcasse désossée, Blanc n'avait pas lâché un seul mot.
Le vieux cadre, infiniment las, alla récupérer son LR6, tombé dans la poussière, et son revolver qui gisait près de l'éclaboussure du sang de Rondeau. Il ramassa également le pistolet-mitrailleur de Rouge et le fusil d'assaut de Blanc et les jeta dans la Seine. Il en fit de même avec la carcasse de l'androïde, récupérant uniquement une impressionnante pile à fusion dans un compartiment à la poitrine.
Tout s'était déroulé comme dans un rêve. Il ne prendrait pleinement conscience de la mort de Rondeau plus tard. L'heure n'était pas aux pleurs ; il ferait son deuil en même temps que ceux de tous les autres, tous ceux qui étaient morts depuis que les bombes avaient commencé à pleuvoir sur la terre.
En attendant, il était seul. Comme toujours.
Et au milieu de Paris, une vieille goule lasse se mit à marcher sans but, ses pieds traînant soulevant un nuage de poussière à chaque pas.
[- 6 balles de .44]
[- 6 piles LR6]
[+1 pile à fusion moyenne]
- Spoiler:
Bon... C'est fait. J'espère que ça t'ira, Rondeau. J'ai fait de mon mieux, je pense.