Voltigeur était dans les coursives de Métropolitopia depuis plusieurs jours. La population se tenait à carreau et vaquait à ses occupations mais les tréfonds de la ville souterraine était toujours aussi bouillonnant d’activité illégale.

Il passa le long d’une voie mal éclairé par une lampe de sortie de secours rafistolée et qui pendait le long du mur. Sous sa lumière vacillante, on pouvait voir l’expression du peuple : « L’hygiène ? A quoi bon si on crève sous les crocs d’un rôdeur à la surface ? »

Enième coup de gueule gravé dans la roche. Enième habitant énervé par la présence d’une force étrangère sans légitimité autre que celle de la force. Voltigeur se mit à sourire alors qu’il atteignait le quai suivant et grimpa tranquillement pour rejoindre les étales du souk.

« Parce que tu crois que les gangs sont plus légitimes ? » lui avait rétorqué un pilier de comptoir la veille. Métropolitopia avait beau être la première ville de Paris après l’incident, elle ne s’était pas construite et maintenue avec l’aide de grands principes sociétaires, c’est sûr. L’anarchie et la loi du plus fort y ont toujours eut raison jusqu’à présent. Pourquoi cela changerait-il en boutant la FNF des souterrains ?

Il se prit une brochette de scarabées fris tout en poursuivant son chemin et en continuant sa réflexion. Le désavantage de la FNF, c’est qu’elle était étrangère. Un parasite de plus dans une société dont elle n’était plus le reflet. Elle aurait été une entité locale, peut-être qu’elle aurait su s’étendre et convaincre, mais force était de constater qu’elle n’avait pas de prise sur la mentalité des souterrains. Les gangs, eux, faisaient parti de la couleur locale. On vivait avec et contre eux. Ils imposent plus leur territoire que le lambda moyen, mais ils sont Métropolitopiens comme les autres, juste plus roublard, opportunistes et vicieux. Il pouvait vivre avec les gangs. Avec la FNF, une force étrangère, quel sens y avait-il à accepter son crédo ?

Il passa dans les contre-allées pour éviter la foule et se rapprocher de sa destination. La base de la FNF arrivait à portée de vue. Ses murs en bétons, ses sacs de sable empilés et ses wagons faisant office de dernier rempart à leur avant-poste et donnait au lieu l’air d’une zone prête à en découdre avec les horreurs de la surface comme l’ennemi intérieur. Des soldats en factions jouaient aux cartes alors qu’un servant d’une arme lourde surveillait les vas-et-viens des passants et de deux autres camarades qui faisaient une ronde. L’éclairage y était meilleur qu’à d’autres endroits de Métropolitopia, probablement le dernier cadeau du Général Madof avant qu’il n’aille sombrer dans l’ivresse de son bureau. Une raison de plus pour ne pas estimer l’occupation.

Voltigeur se cura les dents avec le bâtonnet tout en observant cette installation qu’il connaissait bien. Il avait beaucoup joué dans la zone, plus jeune, lorsque les lieux accueillaient encore le bureau des escorteurs. Il avait suivi de loin la construction lente des défenses et ne pouvait qu’émettre des hypothèses sur la disposition intérieure. On avait beau passer régulièrement, aucun passage ne semblait marquer des faveurs pour pénétrer les lieux mais un jour, l’occasion propice se présenterait.

Il tourna les talons tout en jetant son bâtonnet entre deux chiots qui se battaient pour ronger un os. L’un d’eux gronda avant de mordiller l’oreille de son frère. L’homme se dirigea vers un petit débit de boissons à trois sous, s’installa sur un tabouret de fortune et de commander une boisson tout droit sortie de l’alambique. Il se tourna vers son voisin, qui avait l’air de ne jamais sortir sans armes, et demanda, tout sourire :
« Alors comme ça, la FNF n’a pas encore commencé à confisquer les armes à Métropolitopia ? Ca ne va pas tarder à ce qu’il parait, Lutèce est un exemple pour tous. »

Dire que je me suis rendu dans ce trou à rats pour trouver des infos sur ma cible. Gérard Thuine. Tss...autant assassiner Jean-Eude Hénin directement c'est plus facile! D'autant que je ne sais quels traitements je subirais si j'échoue. Raah! Parfois j'ai envie d'arrêter, de tout arrêter et d'aller me caler quelque part, peinard dans mon coin. Non...pense pas à ça. Paie ta dette, c'est le plus important. Après tu pourras t'en aller.

Je m'étais rendu dans un petit bar de Métrop'. N'importe qui sait que c'est dans ce genre de trou qu'on trouve des infos sur n'importe quoi. Lucifer dit que j'ai tout le temps pour me préparer. Parfait. Je vais me constituer un dossier béton sur ma cible. Je ne veux rien laisser au hasard. Tout doit être planifié, calculé et préparé. Le hasard implique une possibilité d'échec. J'ai horreur de l'échec. Je repris une gorgée de la bière qu'on m'avait apporté. Une rousse. Visiblement meilleur que la blonde à en croire les braillements de mon voisin goule. Je triturai un de mes couteaux de lancer entre mes doigts. J'aime bien faire ça. Travailler sa dextérité par de petits exercices comme celui-ci. J'entendis alors une voix venant dans ma direction

"Alors comme ça, la FNF n’a pas encore commencé à confisquer les armes à Métropolitopia ? Ca ne va pas tarder à ce qu’il parait, Lutèce est un exemple pour tous.
- Qu'ils essaient. Personne ne m'enlève mes lames. Qu'ils m'en prennent un, et ils en auront trois de plus dans le ventre."
Mauvaise humeur mmh... Je bus deux autres gorgées de bière avant de reprendre
" Pourquoi me dire ça? Et puis t'es qui pour m'adresser la parole?"

« Aha ! Du répondant ! Un gars comme je les aime, » déclara-t-il sans se donner la peine de répondre tout en indiquant au barman de resservir l’interlocuteur. « Sans compter que ceux de Lutèce n’ont pas la côte en ce moment. S’ils essayent, ils se retrouveront avec leurs boyaux dans les mains, comme tu l’as si clairement exprimé l’ami ! Pas vrai, Yves ?» demanda-t-il au barman peu loquace qui grogna en hochant la tête et en posant une nouvelle rousse devant l’homme aux couteaux.

Voltigeur lâcha un rire bref mais clairement amusé. Son regard était pétillant de vie alors qu’il enchaîna, « Moi on m’appelle Francis, » mentit-il, « porteur de la bonne parole quand il s’agit de s’amuser dans les parages. Ici, » continua-t-il en écartant les bras pour désigner le bazar derrière eux, « c’est chez moi et y’a pas meilleur endroit pour vivre dans tout Paris, crois-moi l’ami, sans compter qu’on y mange les meilleurs rôtis de radpigeon à la bière. »

Il but une bonne gorgée de sa propre boisson avant de regarder directement l’homme au caractère bien trempé et qu’il était plus que certainement entrain d’irriter. « Mais entre nous, depuis que les tuniques ont investis l’endroit, y’a tout qui bat de l’aile. On ne peut plus manger de la soupe radpoisson pour des raisons ‘d’hygiène’, » continua-t-il presque en crachant le mot. « Je vous en fouterai moi de l’hygiène, sans compter que tout le monde se fait vachement taxé dans le coin pour ce beau ‘privilège’. Hein Yves ?»

Le barman, un petit homme avec une cicatrice le long de son sourcil droit, lâcha un mollard en signe d’approbation avant d’aller servir la goule qui voulait un plein. « Je te fous mon billet qu’en plus, le Madof aurait tout autant à y gagner que nous qu’ils se cassent. Enfin bref, c'est quoi ton blaze, oeil de verre ?»

Eeeet merde...je suis tombé sur un baratineur de première. Encore un qui va déblatérer tout son discours devant moi, croyant que je l'écoute. Et il parle et il parle sans interruption. C'est pas croyable ce que les gens peuvent se croire intéressant. Pour ma part je n'ai jamais trouvé que Clara d'intéressante à écouter. Même Marc devenait gonflant lorsqu'il partait sur ses théories de l'histoire de ses trouvailles.
" Je vais retenir l'histoire du rôti de radpigeon. Ça a l'air pas mauvais."
Tiens. J'ai envie de le vexer.
" Moi j'trouve ça bien l'hygiène. J'aime quand une chose est faite proprement, sans débordement ou bavure"

"Enfin bref, c'est quoi ton blaze, oeil de verre ?
- Mon "blaze"? Tu veux sans doute parler de ce qui me sert de travail c'est ça? J'fais un peu de tout. J'ai une dette à payer envers quelqu'un."
Le coup classique du touche-à-tout. Il va forcément continuer de me dire ce qu'il a en tête, mais comme j'suis "officiellement" pas un expert, il insistera pas pour m'avoir dans son prochain coup. J'adore mes idées machiavéliques.
" Et toi? T'as surement un truc à faire, un boulot ou quelque chose dans le genre pour me parler comme ça. Je me trompe, Masque-à-gaz?"
Voilà. Maintenant, plus qu'à attendre.

‘Francis’ regarda l’étui qui pendait le long de son flanc avant de gratter sa barbe naissante. « C’est vrai que je le porte souvent, mon masque à gaz, mais dans les souterrains, l’air est pur, alors c’est bien le seul endroit de Paris où je me permets de l’enlever. N’empêche, tu as l’œil pour le repérer comme ça, tu dois avoir l’habitude dehors. Je ne m’en sépare jamais, on ne sait pas quand on doit remonter à la surface et subir l’air vicié qui y circule. »

Toujours jovial, il continua : « Dommage que tu sois si tatillon sur l’hygiène, je connais un petit bouiboui qui fait de la bonne soupe en douce. Je suis toujours d’avis que ce qui ne tue pas rend plus fort. Mais si le radpigeon te branche, je peux plutôt te montrer un endroit où ils savent bien le cuisiner. »

Voltigeur mit fin à la courte vie de sa boisson avant de reposer son verre sur le comptoir. « Mais pour répondre à ta question, je trouve simplement plus amusant de causer en buvant que de regarder les mouches voler au-dessus de ton voisin la goule. J’ai rien à te proposer et j’ai pas de bibelots à te vendre, quoique je peux t’indiquer quelques bons attrape-pigeons qui seraient capables de te vendre ta défunte mère, si tu veux.»

Il se retourna, faisant face à la circulation du métro tout en s’accoudant au bar. « N’empêche, je n’aurai rien contre un retour à la normale dans les parages. Suis sûr qu’il suffirait soit de donner un coup de pied à la fourmilière pour que les gens s’agitent, soit d’aller toucher deux mots au responsable du coin, mais il est plutôt du genre à sombrer dans sa bouteille à ce qu’il parait. »

Il me fatigue. Pourquoi, mais pourquoi faut-il que les hommes se croient le centre de l'univers. Il ne comprends pas que son charabia, j'en ai rien à foutre. Mais royalement! Mais non...il continue de e déblatérer son histoire de nourriture sans essayer de comprendre que ça ne m'intéresse pas.
"N’empêche, je n’aurai rien contre un retour à la
normale dans les parages. Suis sûr qu’il suffirait soit de donner un
coup de pied à la fourmilière pour que les gens s’agitent, soit d’aller
toucher deux mots au responsable du coin, mais il est plutôt du genre à
sombrer dans sa bouteille à ce qu’il parait."
Aah. Ça deviens plus intéressant d'un coup. J'ai visiblement à faire à un anti-FNF notoire. Finalement, cette conversation va peut-être devenir intéressante.
" Ah vrai dire...je vois de qui tu veux parler l'ami et...je dois t'avouer que je les aime pas beaucoup moi non plus. Tu vois ça? je lui montrai mon bras mécanique et mon oeil, C'est un cadeau de leur part, pour mes 22 ans."

Je repris une gorgée de rousse et savourai l'arôme de la bière quelques instants. Fraîche, pas trop irradiée (à peine perceptible), moussue, exactement comme je les aime. Je me tournai vers "Francis" et lui dit, un sourire narquois aux lèvres.
" T'es pas un très bon menteur...Francis. j'avais presque craché ce nom. Tu es autant marchand itinérant que moi danseuse de cabaret. Je me doute bien qu'un type armé comme toi (ta machette et ton fusil) ne fait pas de la vente de babioles. Alors je vais te reposer une fois encore ma question, et après je m'en irais (avec toi ou non). Qui es-tu et qu'est-ce que tu fais ici?"