Mila sursauta en entendant la voix de Léon, si bien qu’elle manqua de déchirer le haut d’une page. La jeune femme jeta un coup d’œil sur les quelques ouvrages posés sur la commode. Il n’y avait pas tant de livres que ça pour prétendre ne pas connaître chacun eux. Et puis, Mila l’avait quand même trouvé là, rangé en première ligne. Elle regarda le bonhomme d’un air pas très convaincu.

Néanmoins, Mila ne s’engagea pas sur ce terrain. Il lui semblait que Léon avait un sacré problème avec tout ce qui touchait de près ou de loin à l’enfance. Entre la réponse évasive et celle qui incitait à ne pas poser de questions, le tout agrémenté d’un rire. Enfin, à priori, il valait mieux ne pas aborder le sujet.

« Euh … Et bien … Ça te fait au moins un bouquin avec des images ... »

La jeune femme, mal à l’aise, détourna son regard de Léon, pour contempler à nouveau la page.

« … Et peut-être plus plaisant à lire que les autres. » Se hasarda-t-elle.

Finalement, Mila se tut, préférant arrêter de débiter des conneries auxquelles elle ne croyait même pas. La jeune femme se leva et rangea le livre à sa place initiale.

En se levant, Mila se vit dépossédée du livre. Une grimace déforma son visage lorsque le regard de Léon se posa sur la couverture, mais heureusement, il ne s’attarda pas dessus et fit comme de rien était en le rangeant. Cependant, son expression changea, il affichait à présent une mine triste. La jeune femme l’observa un peu perplexe.

Les gens normaux faisaient quoi généralement lorsqu’ils étaient sur point d’ouvrir une porte de la vie de quelqu’un ? Ils cherchaient à en savoir plus ou se taisaient ? En principe, Mila n’essayait jamais de connaître le mieux possible une personne pour la simple raison qu’elle n’en avait strictement rien à foutre. Finalement, même pour ses défunts coéquipiers, Mila ne s’était jamais vraiment préoccupée d’eux. À part leurs habitudes et quelques goûts, elle ne savait finalement pas grand-chose. Enfin si, le seul qu’elle pouvait prétendre connaître un peu, c’était Solomon, mais lui n’avait pas besoin qu’on pose de questions.

La curiosité la gagna soudainement. Non, pour faire de Léon exception à la règle, mais, pour simplement assouvir une envie malsaine qui naquît dans son crâne. Comme ce sujet avait l’air de l’affecter particulièrement, Mila voulait voir la douleur et la peine déformer ses traits. Elle commença à creuser.

« Tu l’as déjà lu à des gamins ? … À voir ta tête, il a dû se passer un truc peu plaisant, n’est-ce pas ? »

Ayant replacé le livre dans l'étagère, Léon s'immobilisa, baissant la tête comme s'il venait d'encaisser un coup au ventre quand elle lui posa la question. Il serra les lèvres de douleur et resta ainsi quelques secondes, le temps nécessaire à se détacher complètement de ce problème et retrouver l'insensibilité, le calme olympien du professionnel. Finalement c'était sa seule protection face à ce mal qui aurait rendu fou de nombreux hommes. Très loin d'imaginer les perversions de Mila, Léon ne pourrait pas savoir à quel point il allait la décevoir. Et d'un sens temps mieux puisque s'il en avait eu connaissance, nul doute que cette femme, en dépit du respect que Léon lui portait, aurait été très vite séchée d'une balle dans la tête ne serait-ce que par principe. Si elle pouvait vouloir le voir souffrir ainsi lui, nul doute que le monde serait mieux sans une femme d'un tel sadisme qui avait certainement beaucoup sur la conscience, à supposer qu'elle en aie une.
Inconscient donc d'être en présence d'une disciple du marquis de sade, Léon affirma.
- Oui, je l'ai déjà lu à mes enfants.
Arrivait maintenant la question sur leur sort, il ne fît pas détour et se concentra pas pour ne pas sembler être affecté, mais pour contenir ce chagrin. Ça lui était vital pour garder sa raison.
- Je ne sais pas. C'est ça que je recherche. Ils ont disparût il y a 4 ans et je les recherche depuis... C'est ce qui me pousse à continuer. C'est ça mon but dans la vie... retrouver ceux qui m'ont été enlevés.
Il sourît quelque peu, repensant aux bons souvenirs avant de se retourner.
- Voilà, tu connais ma vie. Mais.... J'aimerais ne pas trop m'étendre sur ce sujet.
Il coupait court à la conversation avant de se sentir mal d'une tell façon. Le plus terrible dans cette situation était de ne pas pouvoir faire son deuil ou être sûrs qu'ils étaient vivants. Cette incertitude insupportable était l'unique chose qui rendait la douleur toujours aussi vive après 4 ans.
- En attendant... Je fais ce que j'ai toujours fait... Ce job est certes dégoûtant mais il paye bien. De toute manière si je ne le fais pas, quelqu'un d'autre récoltera la prime alors autant que ce soit moi.

Mila, d’une indifférence royale à ses réponses, posa la question bateau en vérifiant l’état de ses ongles :

« Tes enfants ! … Ils sont où ? »

Heureusement, pour elle comme pour lui : Léon avait le dos tourné. Au bout de quelques phrases, la jeune femme leva les yeux au ciel. Puis, elle tourna les yeux vers lui, consternée par tant sentimentalisme. Et pour couronner le tout … Bordel ! mais, quel pot de fleur ! Il gardait un calme olympique dans la voix comme dans l’attitude, bien que la tristesse se fasse sentir. Cependant, pour Mila ça ne suffisait absolument pas, le voir craquer l’aurait fait marrer, mais là rien ! Néant !

Léon lui fit enfin face. Mila adopta un regard compatissant accompagné d’un doux et léger sourire.

« Tu dis ça comme si tu te sacrifiais pour que le monde ait la chance de ne pas tomber sur une crapule de plus … »

Malheureusement, la jeune femme ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Malgré le fait que Léon lui ait précisé qu’il ne souhaitait pas s’étendre sur le sujet, le plus grand défaut de Mila était d’aimer jouer avec le feu. Après un petit moment de silence.

« … Ils avaient bien une mère, elle, aussi, a disparu ? Elle vivait ici, ou bien c’était une éventuelle pute qui t’a refilé les gosses ? »

Où elle voulait en venir ? Nulle part. Mila avait simplement envie d’être méchante et de jouer avec ses nerfs. Et à voir l’attitude et l’expression de Léon, elle avait bien mis les deux pieds dans le plat, au point qu’il était prêt à la frapper. La jeune femme s’empêcha de sourire jusqu’aux oreilles et d’exploser de rire.

Il sortit furieux de la pièce. Mila, les yeux tournés vers la fenêtre et affichant un large sourire, murmura :

« Oui monsieur, ma curiosité est satisfaite ... Je me suis bien amusée. »

Elle se mordit la lèvre inférieure pour s'empêcher de rire. Enfin calmée, elle se laissa tomber sur le fauteuil. Le visage tourné vers l’extérieur, elle réalisa que ce sujet ne pouvait plus être exploité. Une phrase de plus et là il ne se retiendrait pas, comme il l’avait fait auparavant. Mila soupira. Maintenant, comme toute personne gentille et polie, il fallait s’excuser. Cependant, vu l’état dans lequel était parti Léon, il était préférable d’attendre un peu.

Au bout d’une bonne heure et demi, Mila, accoudée au garde-corps de la fenêtre, observait le soleil se coucher en réfléchissant à un prétexte pour son comportement malsain. La seule chose qui lui traversa l’esprit était de se faire passer pour une pauvre fille au cœur d’artichaut qui avait piqué une crise infantile de jalousie. Ça ne lui plaisait pas des masses, mais bon entre ça et lui faire comprendre qu’elle était une belle salope.

Mila se leva et rejoignit Léon. Il lui tournait le dos.

« Je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m’a pris … Enfin si, peut-être parce que je … (Non ! c’était franchement con comme excuse) Non, rien … Excuse-moi. »

Mila retourna sur son fauteuil en soufflant.

Moi non plus je ne tiens pas à le dire, pensa-t-elle en s’asseyant dans le fauteuil. Mila flâna quelques minutes avant de diriger son regard vers la commode. Ce n’était pas que Léon l’embêtait, mais elle n’avait pas fini le livre. Les illustrations lui plaisaient graphiquement et elle voulait le continuer. Elle se leva lentement et se dirigea vers le meuble, puis elle tira discrètement l’ouvrage.

Mila s’assit en tailleur sur le lit, faisant en sorte de tourner le dos à la cuisine et de cacher ainsi ce qu’elle était en train de faire. Appuyée sur un coude, la jeune femme observa les images dans leurs moindres détails. Malheureusement, comme elle ne savait pas lire, Mila ne pouvait que se faire une idée de l’histoire.

Enfin, elle ferma le livre et resta pensive un moment devant la couverture. Elle ne souriait pas. Elle n’en avait pas besoin puisque personne ne se trouvait dans la même pièce. Le ciel était à présent entre chien et loup. La Lampe, qui éclairait la pièce, le rendait beaucoup plus obscur, au point que l’on ne voyait plus rien à l’extérieur.

Mila se laissa tombée sur le côté. Elle se trouvait complètement sur le bord du lit, couchée en chien de fusil. Son regard se perdit dans le vide pendant plusieurs minutes, avant que ses paupières se ferment. Bientôt, le livre tomba bruyamment sur le sol sans la réveiller. La jeune femme ne broncha pas non plus lorsque la lumière s’éteignit un peu plus tard.

L'entretien du revolver fût rapidement achevé et même si celui-ci avait beaucoup perdu de la superbe de sa finition chromée en noir, il était pleinement opérationnel et ce, sans doute pour un gros (voire plusieurs) millier de tirs étant donné la qualité de l'INOX. Après cela, il se pencha sur l'entretien de ses autres armes à savoir son propre revolver, son pistolet et la carabine fraîchement acquise. Le M4 n'eut pas besoin de cet entretien puisqu'il n'avait pas tiré depuis le dernier, fait il y a moins d'un mois.
Il profita d'ailleurs de la chose pour charger ses magasins et speedloaders, ainsi il était prêt à tirer et au combat, à supposer qu'un combat vienne... Le vieux tueur jetant un coup d'œil par la fenêtre, il remarqua que la nuit était tombée peut-être depuis une ou deux heures, avant d'aller se coucher il se dit qu'il pourrait être sympa de taper une visite à ses nouveaux voisins.

To : Secouer la poussière de ses rangers